
dominique visse à la goulue
ces noms ne vous disent rien? il faut dire que tout le monde ne connaît pas dominique visse. ni la goulue d’ailleurs.
dominique visse
chanteur, contre-ténor pour être exact. il entre à la maîtrise de notre-dame de paris en 1966 (il a 11 ans), rencontre, en 1976, alfred deller, l’homme qui a remis au goût du jour ce registre très particulier du contre-ténor, et fonde, en 1978, un ensemble qui reste, aujourd’hui encore, une référence: …
… l’ensemble clément janequin. l’époque est davantage versée dans le disco, mais lui et ses copains – michel laplénie (ténor), philippe cantor (baryton) et antoine sicot (basse) – s’intéressent à une période de la musique occidentale un peu oubliée: la renaissance et la beauté truculente de ses compositions. bien sûr, philippe caillard et son ensemble vocal oeuvrent depuis le début des années 1960, mais les voix, l’interprétation, bref l’esprit, sont très classiques. visse et son ensemble vont apporter un vent de fraîcheur en la matière, aussi en ce qui concerne la prononciation (mélange de français moyen et moderne aujourd’hui un peu décrié, aussi parce que les recherches ont apporté depuis beaucoup de réponses en la matière). mais à l’époque, l’approche résolument nouvelle des janequin est une sorte de révolution. les sons ne sont pas ceux que l’on connaît et l’interprétation, plus axée sur le texte (quand la pièce l’exige) que sur la musique (ce qui ne veut pas dire qu’elle n’est pas « belle »), rend justice à l’esprit des oeuvres. il déterre donc des partitions que personne n’a eu l’idée de chanter, en transcrit beaucoup et les enregistre. la chanson parisienne, un genre particulier du répertoire, mais pas seulement, revient donc en force, avec son sous-genre la chanson descriptive où, comme son nom l’indique, la musique et surtout le texte s’attachent à reproduire des sons à la base « non musicaux » comme les bruits d’épée lors d’une bataille, le chant des oiseaux ou les cris entendus sur les marchés parisiens. ce qui donnera, entre autres, la bataille, le chant des oyseaulx et les cris de paris. clément janequin fut l’un des maîtres incontestés de cette musique. d’où le nom de l’ensemble. entre parenthèses, dans la foulée, en 1979, visse rejoint william christie qui crée les arts florissants, du nom d’un petit opéra de chambre de marc-antoine charpentier. l’ensemble nouvellement créé s’emploie à faire la même chose, redonner du sens à travers une étude approfondie, une interprétation « juste » sur instruments d’époque, mais pour la musique baroque, c’est-à-dire à partir du 17e siècle. visse y emmènera ses copains des janequin et rencontrera d’autres chanteurs (les sopranos guillemette laurens et agnès mellon, qui deviendra sa femme, le ténor étienne lestringant, le basse américain gregory reinhart entre autres). ensemble, ils seront les piliers du groupe pendant plusieurs années. parenthèse fermée.
le succès de l’ensemble clément janequin est immédiat qui fera naître une vocation (le terme est un peu fort, disons une grosse envie :O)): la mienne…
flash-back. 1979, j’ai 18 ans et je fais mon entrée dans celle qui va devenir ma (première) belle-famille. presque tous les 6 enfants (dont ma future épouse de l’époque fait partie, donc) ont reçu une éducation musicale et jouent plus ou moins d’un instrument. à chaque réunion de famille, ils ont l’habitude de prendre la partition d’une chanson de la renaissance pour l’interpréter. n’ayant pas de basse, ils me collent d’office ce registre sur le dos, si j’ose dire. si je disais que je fus à l’aise d’entrée de jeu, je mentirais. mais je m’en tirai plus bien pour quelqu’un qui, n’ayant reçu aucune éducation musicale, ne savait pas déchiffrer une partition. je faisais tout à l’écoute, « sentant » l’harmonie et m’insérant dans le jeu. je continue à le faire. je réalisai assez vite que je « comprenais » la musique, sans y avoir été initié. la, la, la je ne l’ose dire, il est bel et bon, mon coeur se recommande à vous (même si l’époque de cette pièce est contestée), le chant des oiseaux, parmi beaucoup d’autres, tous ces grands classiques constituèrent donc mes premiers pas dans le monde si particulier de la musique ancienne. il y a plus de trente ans, donc, je poursuivis mon apprentissage musical en écoutant (le chant mélodieux, comprenne qui pourra) d’une oreille émerveillée les premiers enregistrements « des janequin ». au point qu’il me prit l’envie de les reproduire. je louai donc (pour une fortune) un magnéto multipiste, écoutai (attentivement) chacune des quatre voix et les enregistrai une par une sur chacune des quatre pistes. sans partition. même si je n’avais aucune technique vocale, le résultat me satisfaisait (pour mon oreille de l’époque). un peu plus tard, j’ai commencé à chanter, mais jamais ces pièces-là, dans des petits choeurs. à paris, à florence et enfin à genève. lorsque je suis arrivé à genève pour poursuivre mes études, je suis entré en 1988 dans le choeur du centre de musique ancienne de genève (dirigé à l’époque par l’excellent gabriel garrido). mais l’époque était au baroque et personne ou presque ne chantait plus de renaissance. en tout cas plus celle que je voulais chanter. j’ai donc suivi le mouvement et découvert pas mal de compositeurs au contact de différents ensembles: vivaldi et bien sûr monteverdi, mais aussi bach, hayden, schütz ou zelenka, pour ne citer que les plus grands. mais je gardais le secret espoir de revenir un jour à mes premières amours. jusqu’à ce que je réalise qu’on n’est jamais mieux servi que par soi-même. en 2008, j’ai finalement monté mon petit ensemble à 4 voix à moi – oxymore – avec des potes que j’avais rencontrés dans différents ensembles, précisément pour interpréter ces pièces-là. oh, pas un ensemble de haut vol, on n’a pas fait le conservatoire, mais on a tous l’expérience du chant en ensembles, une compréhension de la polyphonie et surtout, et c’est presque le plus important, une envie de se retrouver entre potes pour partager un bon moment.
flash-forward. samedi soir, c’était donc la seconde fois (la première devait être pendant mes études, en 1987 ou 88, lors d’un concert des janequin à genève) que je me trouvais face à face avec celui qui avait, à son insu, introduit en moi ce virus multi-résistant mais totalement jouissif. grand moment. il chantait seul, accompagné du claveciniste et organiste hadrien jourdan, un programme composé de pièces anglaises et italiennes du 17e. l’homme va bientôt avoir 59 ans, ce qui n’est pas rien pour un chanteur, mais sa richesse expressive et l’intelligence de son interprétation m’ont complètement charmé. j’avoue, dans mon cas, c’était acquis d’avance. alternant les pièces chantées avec des pièces instrumentales pratiquement toutes méconnues, voire inconnues, le programme permettait de mettre en lumière ici une tendresse mêlée de désespoir, là une inventivité spécifique à une école. les dissonances amenaient le sourire, les textes, valorisés par l’interprétation décomplexée de visse, aussi. grand moment je vous dis.
le concert terminé, j’avais hâte de lui serrer la main, non sans éprouver la sourde appréhension de rencontrer un homme un peu distant, voire hautain, vus son parcours et son succès. les préjugés qu’on peut avoir parfois sont d’une imbécillité déconcertante. je me suis quand même positionné pour être parmi les premiers à lui faire face quand il sortirait des « coulisses ».
j’ouvre ici une petite parenthèse. les coïncidences sont parfois amusantes. il faut vous dire qu’il y a trois semaines, cherchant une partition depuis plusieurs années, la soprano de l’ensemble, laurence, m’avait dit, lors d’une répétition: « mais pourquoi tu ne contactes pas ton idole pour la lui demander? » aussitôt dit aussitôt fait, le soir même, j’écrivais un mail à son agent. ce dernier me répondit dans l’heure qu’il transmettrait ma requête à dominique visse. le lendemain matin, je recevais une réponse dudit dominique visse avec la partition, accompagnée d’un mot gentil. seconde coïncidence: il y a deux semaines, l’alto de l’ensemble, meltem, m’avertissait que visse passait du côté de vevey, chez des privés qui organisent des concerts dans leur salon depuis 15 ans dans le cadre de ce qu’ils ont appelé « la goulue ». samedi soir, je n’ai pas manqué de rappeler à visse ce bref échange récent, ce qui l’amusa. parenthèse fermée.
si l’on ne connaît pas l’homme, on peut être surpris par son apparence de saltimbanque: chevelure blanche hirsute, boucles d’oreille, bagues et bracelets à gogo. lorsqu’on l’approche, on se rend compte que ce n’est pas une posture, c’est un état d’esprit. gentillesse, disponibilité, sourire, le genre de gars qui vous prend dans ses bras alors qu’il vous voit pour la première fois. après 5 minutes de parlotte, il me tutoyait. on a discuté de son parcours – il m’a raconté que lorsqu’il a créé l’ensemble clément janequin, ils étaient les premiers à faire ça à l’époque et qu’il y avait une dizaine de chanteurs sur paris. marrant d’apprendre qu’ils faisaient ça pour la déconne et ne se prenaient pas au sérieux, qu’ils se réunissaient pour chanter et boire des coups. le groupe, avec les membres d’origine, éclatera en 1987, chacun désirant chanter sous d’autres horizons. il existe encore aujourd’hui mais seul visse est encore là pour mener la barque. je lui ai brièvement parlé de mon ensemble oxymore. quand je lui ai dit que j’adorerais chanter certaines pièces mais n’arrivais pas à trouver les partitions, il m’a gentiment proposé de me les fournir, lui qui a en retranscrit 40’000 pages. à suivre…
grand, grand moment samedi soir. la vie est belle. et merci, meltem, de m’avoir prévenu…
la goulue
au-dessus de vevey, à st-légier-la chiésaz, la goulue est un lieu convivial de rencontres musicales tenu depuis 15 ans par un couple de passionnés: françoise cap et pierre-alain beffa. des concerts s’y déroulent régulièrement dans le grand salon de leur maison et les événements sont forcément placés sous le signe de la générosité et du partage. sympa. pour en savoir plus, rendez-vous ici.
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