
grandes tables: la maison pic à valence
la porte du garage souterrain se lève, un jeune homme en costume gris clair-cravate nous attend qui nous aide, une fois que nous sommes garés, avec nos valises. nous montons à la réception où une très longue table vitrée abrite les éditions du guide michelin depuis 1900.
le ton est donné et…
… cette "vitrine" nous rappelle que l'établissement était là avant l'apparition du michelin au début du xxème siècle. en fait, la maison pic a l'âge de la tour eiffel puisque c'est en 1889 que sophie pic ouvrait son auberge du pin à saint-péray, à l'ouest de valence, un restaurant que son fils andré reprendra et installera, dès 1936, où il est aujourd'hui, au 285, avenue victor-hugo, à valence, avec (déjà!) 3 étoiles au michelin. le petit-fils, jacques, père d'anne-sophie, reprendra le flambeau en 1973 et conservera les 3 étoiles. rentrée de l'étranger, anne-sophie deviendra elle aussi cuisinière, titre qu'elle revendique aujourd'hui. trois ans après le décès de son père, elle prend, en 1995, la tête d'une "équipe qui lui ressemble" et assume l'écrasant héritage familial en présidant, aux côtés de son mari, aux destinées de l'entreprise familiale. une tâche: rénover et agrandir l'établissement. une mission: conserver les étoiles durement acquises dans le célèbre guide rouge.
mais revenons au séjour…
les plafonds sont bas et voûtés, la déco est assez hétéroclite, ambiance contemporaine et meubles de designers se côtoient dans une cacophonie aimable mais étudiée. une constante pourtant, marque de fabrique de la maison: la moquette, sombre, striée de lignes de couleur, que l'on retrouve à lausanne. comme la chambre n'est pas encore prête, nous faisons un tour du propriétaire. à commencer par la piscine, pas grande mais pas grave, les arbres alentour nous projettent dans un sud distant d'à peine deux cents kilomètres. comme il ne fait pas très beau, ce sera un verre dans le patio.
la chambre est enfin prête. en fait, la surprise est aussi là. ce n'est pas une chambre mais l'une des deux mini-suites. grande salle de bains, matelas à l'américaine, c'est-à-dire très épais, lampe de bureau design. fin du fin, crème de la crème, cerise sur le gâteau, nous avons un ascenseur privatif qui nous amène directement dans la salle du restaurant. ce restaurant où nous allons découvrir la cuisine originale d'anne-sophie pic, cette cuisine que nous avions savourée au beau-rivage palace à lausanne pour mes 49 ans et que nous avions pu apprécier de nouveau en février.
l'après-midi est encore jeune et il nous reste du temps avant le dîner, nous sortons voir le pic-e store, à une centaine de mètres sur le même trottoir, où l'on trouve objets, livres, vins et école de cuisine. avant de passer à table, je rencontre l'une des serveuses du restaurant avec qui je papote un instant. elle me demande si je suis sur la route des vacances. je lui réponds que je suis là pour un anniversaire.
puis nous prenons l'apéritif dans le patio. je fais part au garçon de mon allergie à l'alcool, il me propose trois sortes de jus de tomate.
nous dégustons quatre amuse-bouches (de droite à gauche) une boule de foie gras, une boule de chou-fleur, une guimauve à la cachuète et un macaron de hareng au poivre noir. le maître d'hôtel vient nous apporter le menu. j'en profite pour réitérer mon "problème d'alcool", il me propose de remplacer le plat "à problème". une demi-heure plus tard, nous passons à table. tous les clients reçoivent sur leur table un menu miniature, histoire de se souvenir de ce qu'ils ont commandé à mesure que se déroule le repas. le mien, le menu "collection pic", a (déjà) été personnalisé et imprimé. le voici in extenso:
– l'amuse bouche
– les petits légumes de nos producteurs, le parmigiano reggiano (étuvée de petits légumes au vinaigre de xérès, coulant de parmigiano reggiano sur une tarte fine sablée)
– le homard bleu rôti au beurre de crustacés (consommé de homard aux baies et fruits rouges, crème mousseuse de céleri au poivre vert)
– le bar de ligne au caviar d'aquitaine (comme l'aimait mon père – 1971)
– la poularde de bresse (le suprême rôti au poêlon, marmelade de citron étuvée de jeunes blettes et couteaux)
– le brie de meaux revisité à la vanille de bourbon
– le chocolat caraïbe, le citron jaune et la cacahuète (esprit d'un finger, crémeux et croquant de cacahuète, mousse légère au chocolat noir et citron jaune)
– la framboise et le café blue mountain (en vacherin contemporain)
le tout servi dans des proportions bien évidemment acceptables. je ne vous dis que ça, tant les mélanges sont subtils, les associations surprenantes, les plats légers. avant le dessert, la serveuse avec qui j'ai discuté juste avant l'apéro, et qui nous a servis pendant tout le repas, apporte un gâteau au chocolat avec une bougie dessus. l'info que je lui ai fournie (l'anniversaire) n'est pas tombée dans l'oreille d'une sourde. mais, ne sachant pas de qui il s'agit, elle le pose entre nous avec un sourire puis s'efface. savoureuse attention, service impeccable, décidément.
comme à l'accoutumée dans ce genre d'établissement, le chef, en l'occurrence la cuisinière, sort en fin (enfin!) de soirée de ses fourneaux pour une tournée "publicitaire". à l'évidence, anne-sophie n'aime pas beaucoup se prêter à cet exercice marketing consistant à faire des courbettes, et, contrairement à la cuisine, elle n'est visiblement pas très douée pour ça. timide, physiquement petite (elle semble l'être aussi dans sa tête), courbée, presque voûtée quand elle s'adresse à ses clients, d'une humilité surprenante pour une si grande dame de la gastronomie. elle arrive à notre table et se liquéfie quand je lui adresse un compliment. très gênée mais très souriante, reconnaissante (elle le dit) de lui permettre, par notre présence, de donner libre cours à sa passion.
certes, elle a bénéficié d'un terreau plutôt favorable: les étoiles au michelin, dans sa famille, sont monnaie courante depuis deux générations. son père et son grand-père avant elle avaient jeté des bases plus que solides. encore faut-il avoir le talent et la passion. elle a donc repris le flambeau, et avec quel brio! même son frère alain, de 10 ans son aîné, ne fera jamais mieux. l'endroit a été totalement remanié, repensé, contemporanéisé, pour lui donner cette touche de modernité que les hôtes apprécient aujourd'hui dans un hôtel cinq étoiles, membre du groupe relais & châteaux et des meilleures tables du monde. mais la maison pic, c'est bien plus qu'un hôtel et une bonne table: c'est un vrai concept, décliné sur de nombreux "supports", faisant ainsi du nom une véritable marque. un second restaurant à lausanne, au beau-rivage palace (et déjà 2 étoiles, deux ans seulement après l'ouverture), un bistrot chic (le 7), reprenant les codes de la nationale 7, une boutique (le pic-e store) avec des produits à son nom, une école de cuisine (scook), et même un service de consulting. bref, un poids énorme sur ses frêles épaules qu'elle a l'air de porter avec le sourire et la seule force de son immense talent.
comme à l'eastwest hotel, à genève, la semaine d'avant, la nuit s'est déroulée dans un calme absolu. et le lendemain matin, nous avons pris le petit-déjeuner dans la salle voûtée, assis dans des fauteuils club chesterfield: copieux, goûtu comme il se doit, mais curieusement traditionnel, pas aussi créatif que la cuisine de la veille.
quelle belle manière de passer le cap des 50!
pour voir à quoi tout ça ressemblait, rendez-vous dans l'album la maison pic ou sur son site bien sûr.
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