tête de litote…

parmi la foultitude de figures de rhétorique que compte notre belle langue, il en est une qui est, comment dire, une habitude bien française, presque un sport dans l'hexagone, et qui consiste à suggérer une idée par la négation de son contraire. donc à pratiquer la litote, comme on dit dans les milieux motorisés. on la pratique tous, tout le temps, à des degrés divers, sans même s'en rendre compte.

la négation du contraire… voilà un schéma de pensée un peu tordu, il faut bien le dire. pourquoi ne pas dire les choses franchement au lieu de prendre des chemins détournés? c'est compter sans ce concept subtil qu'est la nuance. car sans elle, sans la représentation mentale qu'elle suscite, la langue, convenons-en, …


… ne connaîtrait ni couleur ni saveur ni beauté. la litote est donc un exercice dont les descendants de corneille ("va, je ne te hais point") sont devenus les champions (à défaut de maîtriser les langues étrangères), en se faisant un quasi-devoir d'en utiliser, souvent à leur insu, au moins une par jour.

pour tout et pour rien, mais toujours dans le but d'apporter cette fameuse nuance, de renforcer le discours ou de l'atténuer, avec ce petit clin d'oeil critique ou connivent.

les exemples rouges-gorgent, comme dit souvent un ornithologue de mes amis, tant ils sont quotidiens. "c'est pas mauvais", "il fait pas chaud ici" ou son pendant "il fait pas froid chez vous", "ya pas foule, ce soir", "ces places ne sont pas données", "cette fille n'est pas moche" (à noter: autant cette formulation ouvre la porte à l'imagination, autant son contraire – "cette fille n'est pas belle" – sonne en comparaison comme une sentence définitive parfaitement immédiate), etc.

on notera également que le mot utilisé dans l'expression même donne un indice sur la pensée véritable, cachée ou inconsciente du locuteur. dans les exemples ci-dessus, "chaud", "froid", "foule" ou "mauvais" trahissent le sens réel qu'il attribue à sa remarque. en disant "il fait pas chaud", il estime en fait qu'il ne fait pas assez froid pour dire "il fait froid", qu'en déclarant "c'est pas mauvais", il sous-entend que cela pourrait être meilleur.

je vous entends déjà arguer que "ben oui, c'est évident!" mais méfiez-vous, le quotidien est saturé de mauvaises intentions! car quand on entend "c'est pas mauvais", il faut en fait comprendre, neuf fois sur dix, "c'est bon" (mais ce serait accorder à la chose dont on parle trop de qualités trop vite. donc on joue au critique impitoyable tout en n'en pensant pas moins).

et l'intonation, me direz-vous! ah, si l'intonation s'en mêle (et l'intonation s'emmêle rarement lorsqu'il s'agit d'expliciter une pensée)… je vous l'accorde, intention et intonation vont presque toujours de pair, et la nuance sera totalement différente suivant que l'on veut dire "c'est excellent" ou "ce n'est pas assez bon pour que je dise que ça l'est". mais admettez qu'on dit rarement "c'est pas mauvais" en sous-entendant précisément ce que l'on est en train de dire. sauf dans les situations où il convient d'être poli, mais même là on usera d'une intonation qui laissera entendre que c'est bon. vous suivez?

alexandre astier, génial auteur de la série kaamelott, et à qui je voue une grande admiration (même s'il n'a jamais répondu à ma demande d'amitié sur facebook), l'a bien compris en mettant (tout à fait consciemment, cette fois) dans la bouche de son personnage perceval le fameux "c'est pas faux" (qu'il sort, sur les conseils de caradoc, quand il n'a rien bité à ce qu'on lui a dit, c'est-à-dire tout le temps) que les inconditionnels ont repris à leur compte depuis belle luette, comme dirait mon orl.

or, entre "c'est pas faux" et "c'est vrai", il y a bien sûr nuance. outre que l'utilisation que l'auteur en fait dans la série est quelque peu pervertie (et donc tout à fait hilarante), l'expression peut en effet être comprise de deux manières différentes:
1. la concession – à pensée tordue, expression tordue, on laisse entendre (en toute connivence, bien sûr) à l'interlocuteur que l'on est au moins aussi intelligent que lui en induisant que l'on a compris ce qu'il voulait dire (même si ce n'est pas le cas) mais que, et c'est là que la concession intervient, son avis n'est pas totalement erroné (contrairement au nôtre, en général inexistant, qui est sinon plus du moins aussi juste que le sien, et qu'on ne dévoile pas puisque, neuf fois sur dix, on n'en a pas),
2. la quittance – on abonde dans son sens tout en le disant de manière "non naïve". "c'est vrai" pourrait en effet "sonner faux". c'est bizarre mais c'est comme ça.

continuons donc à la pratiquer, cette litote, c'est pas dur (ah ben tiens, encore une), ça ne fait pas de mal (mince…) et ce n'est pas ça qui va appauvrir la langue française (décidément!).