la liaison tue tue la liaison…

euro
parmi toutes les liaisons mal ta propos que l’on peut entendre çà et là (« l’amour n’est point zingrat », « je t’ai trop zaimée », « si tu ne vas pas za lagardère, lagardère ira tatoi! ») et que l’on a tous faites car il arrive que notre langue (l’organe) se prenne les pieds dans le tapis, il en est une, plus réelle, pour ne pas dire quotidienne, qui n’a rien à voir avec un quelconque « fourchage » (mince, le mot m’échappe… fourchation? fourcherie (de scapin)? fourchisme?) et qui moi me rend mûr car je n’en comprends pas l’absence, surtout dans la bouche d’une écrasante majorité de journaleux de la presse parlée. eh oui, toujours zeux.

une liaison tue dont ils se rendent quasi systématiquement coupables, dont ces serviteurs de la langue française (naïf, le père pierre), car je ne fais référence ici qu’à ceux dont bien parler est l’une des composantes du métier, nous abreuvent à longueur de journaux (télévisés) et autres flashes d’info.

je veux parler de…

… l’absence de la liaison avec le mot (tambour, cymbale) « EURO ». ainsi entend-on dire, du matin jusques au soir et inversement: centroi-euro, quatrecen-euro, quatrevin-euro, millecinqcen-euro, vingtroi-euro…

remarquons au passage que curieusement, cette étrangeté phonique bien incompréhensible s’applique exclusivement entre chiffres et non entre articles et chiffres par exemple (en effet, personne ne dira jamais lé euros que tu m’as prêtés sous peine de passer pour un débile profond). bizarre, bizarre…

mesdames, messieurs, vous qui êtes allés à l’école, vous avez sûrement, au moins une fois, entendu parler des règles d’accord avec les chiffres? n’ont-ils pas appris à l’école que « cent » (quand il est précédé d’un multiple) et « quatre-vingt » prennent un « s » quand ils ne sont pas suivis d’un autre chiffre (bon, avec une exception pour les années quatre-vingt, dont l’orthographe est flottante, mais que du coup on lit presque toujours en chiffres. ben oui, la trouille de faire faux)? n’avez-vous pas remarqué que, HELLO!!! ANYBODY HOME?!?!, le mot « euro » ne s’écrit pas avec un « h » aspiré (alors que par contre on entend « lézandicapés » à tout bout de champ! va comprendre, charles…) et que donc la liaison s’impose, avec les deux chiffres précités mais avec d’autres aussi, comme « deux », « trois » et « dix »?

mais voilà: pour quelque obscure raison, il existe une sorte de gêne partagée, voire de pudeur admise, tacite et consensuelle (plus con que sensuelle, d’ailleurs), à taire cette liaison on ne peut plus naturelle, pour ne pas dire, mais là je m’avance peut-être, obligatoire. si bien qu’à force, la liaison tue finit par tuer la liaison.

bon sang, mais c’est bien sûr, je l’ai trouvée, la raison! elle m’a été fournie par une connaissance: « comme on ne sait plus si « cent » ou « sept » ou « quatre » prennent un « s », dans le doute, on s’abstient ». et la foule, avide mais illettrée, questionna: « pourquoi certains chiffres bénéficieraient-ils d’un traitement de faveur? » et le linguiste en chef leva son sceptre et déclara, solennel: « ok, plus de liaison! ». c’est vrai, la discrimination, c’est compliqué à la fin! du coup, hop, tout le monde à la même enseigne: pas de « s » (c’est plus simple), donc pas de liaison (en oubliant au passage que la liaison avec « cent » ou « vingt » – vinteuro, centeuro – se fait aussi)!

eh bien moi je dis: RESTAURONS LA LIAISON OBLIGATOIRE DANS LA LANGUE PARLÉE AVEC LE MOT « EURO »!

je sens que je vais être bien seul sur ce coup-là. qu’importe! je m’indignerai jusqu’à mon dernier souffle!

sérieusement, je ne suis pas contre l’évolution de la langue française. une langue est vivante, il est normal qu’avec le temps son usage change (difficile à dire sans se prendre la langue dans le tapis, celle-là), même si certaines évolutions sont forcément plus pertinentes que d’autres. par contre, je suis résolument contre cet appauvrissement « de l’intérieur », qui ne se justifie pas, qui ne résulte d’aucune influence extérieure et que nous nous imposons à nous-mêmes au nom de je ne sais quelle règle (la bêtise, peut-être? plus sûrement la paresse ou l’ignorance, ce qui, pour un journaliste, est tout de même un comble).

je vais bientôt militer activement contre la médiocrisation de la langue.

moi président, ma première action sera de créer un OBSERVATOIRE DE LA LANGUE (il y en a plein, des observatoires! comme l’observatoire de la finance, « lieu d’échanges et d’études pénétré du souci de la responsabilité personnelle et collective mis au service des milieux financiers »… ptdr, mais authentique). cet organisme, qui oeuvrera en partenariat étroit avec l’AGENCE BOURRE-PIF (je vous en parlerai dans un prochain article), sera essentiellement chargé de distribuer de grandes paires de claques à celles et ceux qui contreviendraient (même par ignorance) au bon usage. le châtiment corporel, il n’y a que ça qui fonctionne! fasciste, moi? pas du tout: dictatorial, nuance.

bon, au début, il y aura énormément de boulot (et de protestation, surtout de la part des syndicats de journalistes, qui ne manqueront pas d’organiser des grèves monstres. rassurez-vous, tout est prévu: des paires de claques seront distribuées AUSSI aux syndicalistes et aux grévistes). mais rapidement, j’ai bon espoir que tout le monde refera les liaisons bien tà propos… il va sans dire que l’institut sera aussi chargé de corriger ces commerçants qui abusent des « je vous laisse entrer votre code » ou ces journaleux qui prétendent que « des archéologues ont mis à jour des vestiges gallo-romains » ou que « les syndicats ne sont pas prêts d’abandonner la lutte ».

ouais, il va y en avoir, du boulot. qu’est-ce qu’on va se marrer…