sade à orsay

sade attaquer le soleil
définir donatien alphonse françois de sade comme l’inventeur du sadisme serait en partie faux, mais aussi tellement réducteur. il est vrai que personne, à travers l’histoire, n’a davantage que lui incarné la transgression de tous les tabous, aussi bien dans ses actes que dans ses écrits. mais la vérité de l’homme,…

… du penseur, du philosophe, est bien sûr plus subtile que sous le seul angle de sa sexualité.

comment rendre compte de l’importance que sade a eue sur la pensée artistico-philosophique des siècles qui lui ont succédé? honni par ses contemporains qui firent tout pour l’arrêter, le condamner, le bâillonner, ce qui est un comble au siècle des lumières, l’homme imprimera pourtant sa marque sur quantité d’artistes ultérieurs et néanmoins majeurs tels que goya ou füssli, d’ailleurs présents dans l’exposition. ses oeuvres resteront également longtemps clandestines (elles seront interdites jusqu’en… 1958!!!), mais même si personne ne se vantait d’avoir lu sade, il est certain que nombre d’artistes l’ont fait, comme en témoignent leurs oeuvres. goethe avait un exemplaire de justine, baudelaire s’en est nourri, flaubert en était obsédé.

l’exposition se propose donc de rendre compte de cette importance à travers un parcours historique parsemé de thèmes (la férocité et la cruauté, l’extrême et le bizarre, le monstrueux et le désir comme principe d’excès) et d’un mélange de genres puisque sculptures et photographies sont aussi de la partie, une partie enrichie de citations qui viennent comme dialoguer avec les oeuvres présentées. florilège…

– le bonheur n’est que dans ce qui agite, et il n’y a que le crime qui agit: la vertu, qui n’est qu’un état d’inaction et de repos, ne peut jamais conduire au bonheur.
– il n’est aucune sorte de sensation qui soit plus vive que celle de la douleur; ses impressions sont sûres, elles ne trompent point comme celles du plaisir.
– la bienfaisance est plutôt un vice de l’orgueil qu’une véritable vertu de l’âme.
– on n’estime ici-bas que ce qui rapporte ou ce qui délecte; et de quel profit peut nous être la vertu des femmes!
– l’idée de dieu est, je l’avoue, le seul tort que je ne puisse pardonner à l’homme.
– mon plus grand chagrin est qu’il n’existe réellement pas de dieu et de me voir privé, par là, du plaisir de l’insulter plus positivement.
– tous le bonheur des hommes est dans l’imagination.
– on déclame contre les passions sans songer que c’est à leur flambeau que la philosophie allume le sien.
– voir, c’est croire, mais sentir, c’est être sûr.

trois choses m’ont frappé.

premièrement, en lisant sa biographie, je me suis rendu compte que sade a passé le plus clair de sa vie adulte emprisonné, contrairement à oscar wilde qui ne le fut qu’à la fin. deuxièmement, j’ai constaté que, malgré l’acharnement des hommes – et même de sa propre famille – à le réduire au silence, le libertin, l’esprit libre et athée qu’il fut ne se laissa arrêter par rien, luttant jusqu’au bout avec panache et franchise contre l’hypocrisie de son temps. un peu à la cyrano. le titre de l’expo est très symptomatique du personnage: il est tiré des 120 journées de sodome dans lequel un libertin dit de lui: « combien de fois n’a-t-il pas rêvé de s’en prendre aux astres, d’attaquer le soleil! » troisièmement, j’ai découvert des questions profondes et toujours pertinentes sur la nature humaine, plus particulièrement sur le désir, la violence et la cruauté, et leur représentation dans l’art, qui dérangèrent l’ordre établi et bien-pensant au point qu’elles valurent à leur auteur d’être durablement voué aux gémonies.

la représentation d’un martyre dans une église ne choquait pourtant personne à l’époque. il faudra que sade, avec son honnêteté intellectuelle et son langage direct, remette en cause les questions de limites et les notions de beauté ou de laideur, bref mette des mots et un système de pensée sur des choses qu’on prenait pour acquises, et ce seront des générations d’artistes qui s’en trouveront influencés. le rapport entre la pensée de sade et les arts visuels? « sade pose la question de l’irreprésentable lié au désir. de ce fait, en disant ce que l’on ne veut pas voir, il va inciter tout le 19e siècle à montrer ce qu’on ne sait pas encore dire. tel est le fil conducteur de l’exposition« , dit l’une des deux commissaires annie le brun. « à partir de sade, les normes qui ont prévalu jusque-là s’effondrent et les prétextes religieux ou mythologiques disparaissent. la question des limites de la représentation devient fondamentale. c’est l’un des enjeux de la modernité. »

à voir absolument…

musée d’orsay, jusqu’au 25 janvier 2015. entrée € 11.-.