septembre 05

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sleep no more

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sleep no more est un spectacle pas comme les autres. en fait, il ne ressemble à rien de ce que la plupart d’entre nous ont déjà vécu. jamais spectacle n’aura, autant que celui-ci, mérité le qualificatif de « vivant ».

drôle d’expérience que cette « pièce de théâtre » qui n’en est pas une. « classique » à l’origine, la pièce a été écrite en 2003 à londres et totalement réécrite à new york en 2009. créée pour la première fois en 2011, elle devait n’être jouée que six mois. deux ans plus tard, elle fait toujours salle comble. et quand je dis salle…


tout d’abord le lieu. un hôtel (mckittrick), sis dans le quartier de chelsea, au 530w 27ème rue. l’inauguration était prévue quelques jours après que la seconde guerre mondiale a éclaté. si bien qu’il est resté dans son jus pendant près de 70 ans. curieusement. jusqu’à ce que la troupe anglaise punchdrunk y dépose ses valises et son concept novateur. 9’000 m2 et 5 étages totalement repensés, décorés comme des scènes de théâtre ou des plateaux de cinéma, vêtus de noir et plongés pour la plupart dans une grande obscurité.

l’idée, ensuite. vous êtes accueillis dans le bar de l’hôtel (enfumé par une machine à brouillard) où un majordome-crooner vous indique quoi faire. les groupes sont divisés par numéro (inscrit sur une carte à jouer qui vous est donnée à l’entrée). il nous est même conseillé de vivre l’expérience séparé de la ou des personne(s) avec qui l’on est venu. chacun et chacune reçoit un masque vénitien blanc qu’il devra porter tout au long de son expérience dans le bâtiment et surtout, surtout, se taire. ne prononcer aucun mot, ne proférer aucun son. marrant. pour une troupe qui dit vouloir bousculer l’obéissance traditionnelle du public, voilà qu’elle commence son spectacle par une consigne à laquelle il devra se plier absolument. bref. les spectateurs sont emmenés puis dispersés par ascenseur dans les étages. et nous voici lâchés dans de véritables décors de cinéma, avec bande son et/ou musique. on découvre, ici un dortoir d’hôpital (psychiatrique, avais-je lu), là une forêt, plus loin une chambre à coucher ou un lobby d’hôtel. nous traverserons un cimetière, une boutique de tailleur, un bar mal famé, une autre chambre à coucher avec une baignoire. le décor compte aussi d’innombrables autres pièces qui ne sont là que pour l’ambiance, pas pour l’intrigue. intrigue? parlons-en, tiens.

on ne peut pas parler d’histoire, la mise en scène détruit toute linéarité dans le récit. à ce propos, un conseil: ne cherchez pas à comprendre quoi que ce soit. encore une fois, le rationnel a cédé sa place au sensoriel. car sleep no more est un spectacle dont on peut voir toutes les scènes dans le désordre, des scènes dont la « compréhension » ne peut être qu’impressionniste et dont l’assemblage ne peut se faire qu’après-coup pour former une sorte de tableau furieux et plein d’énergie. on décèle bien ici ou là de grands thèmes dramatiques tels que la jalousie, la trahison, l’amour fou, etc. mais difficile de mettre le doigt sur un fil rouge. ces « tableaux animés » (c’est ainsi que j’ai vécu la chose) sont joués par des comédiens-danseurs-acrobates (parfois impressionnants de virtuosité physique, notamment au vu de l’espace dont ils disposent de par l’exiguïté des lieux mais aussi parce que le public est très près d’eux), dans différentes pièces, à différents étages, dans différents décors. ils sont seuls, en couple ou en groupe. le spectateur a le droit de se déplacer à sa guise, peut emprunter les couloirs et les escaliers s’il veut pour découvrir une nouvelle scène ou suivre un personnage dans son action. il peut même s’approcher très près d’un comédien ou regarder par-dessus son épaule pour lire la lettre qu’il est en train de taper sur une vieille machine à écrire. il est libre d’aller et venir, et de se faire sa propre idée de l' »histoire ». certes, des drames se nouent,
des hommes se battent dans un bar, des couples se déchirent dans une chambre à coucher, un trio s’a(n)ime dans une danse furieuse à l’éclairage stroboscopique, un homme et une femme tentent de s’apprivoiser dans une chorégraphie où une porte mobile joue le rôle d’une barrière entre leur coeur, une jeune femme arrive dans un hôtel et se livre à un étrange ballet avec le réceptionniste qui tente de lui dérober son argent, un repas qui ressemble à la sainte cène a lieu dans la salle principale… mais tous ces instantanés ne font pas une histoire. en tout cas pas sur le coup. j’ai lu que la pièce s’inspirait d’othello, que la base de l’intrigue est shakespearienne (le héros déchu) enveloppée dans un film noir: il est vrai que le cinéma, notamment par la musique, parfois hitchcockienne, mais aussi par les  décors, est très présent dans cette production. mais bien malin qui pourra recoller les morceaux et y voir des parallèles.

le « personnel » enfin. outre les spectateurs (masques blancs) et les comédiens (sans masque), il y a le personnel (masques noirs) qui guide le public, l’aiguille vers une scène (notamment la scène finale), lui conseille de se pousser pour permettre le développement d’une scène (une chorégraphie ou une bagarre) ou lui interdit l’accès à une partie du bâtiment. bien organisé de ce côté-là.

le spectacle peut durer 3 heures. les scènes sont jouées plusieurs fois au même endroit par les mêmes comédiens. un peu comme une bande sans fin.

pour puissant que soit ce concept, ce spectacle souffre cela dit, et à mon humble avis, de deux faiblesses.

la première, c’est qu’à force de pouvoir se promener dans les décors au gré de ses envies, on finit par aller n’importe où sans but précis. et ce manque de rigueur finit forcément par faire louper des choses. il y a des comédiens que j’ai vus dans la scène finale qu’en 2 heures et demie sur place je n’avais jamais vus auparavant. de même, j’ai traversé plusieurs fois les mêmes endroits sans rencontrer âme qui vive. du coup, j’ai eu l’impression soit de rater quelque chose (de ne pas être « au bon endroit au bon moment »), soit de m’ennuyer (pas longtemps, cela dit).

la seconde faiblesse du concept, c’est que si le spectacle dure trois heures, c’est parce qu’il y a des « séances ». ainsi, on peut commencer à 19h (et être assez tranquille), mais aussi à 20h30 (et se retrouver avec ceux qui ont déjà commencé). comme il n’y a qu’une seule scène finale, on doit patienter d’autant jusqu’à la fin et se retrouver ainsi avec toute la masse des spectateurs qui sont entrés au fur et à mesure. si bien que lors du final, ceux qui suivaient les comédiens avec une relative aisance au début doivent (ou en tout cas s’en croient permis) bousculer les gens vers la fin pour continuer de vivre leur expérience en solitaire. de plus, sous prétexte qu’on peut s’approcher des acteurs à sa guise, certains ne se gênent pas pour vous marcher dessus et se placer sans aucune gêne devant vous pour avoir un meilleur angle de vue. du coup, la qualité de l’expérience s’en ressent, forcément.

outre ces deux remarques, sleep no more est une expérience à vivre absolument, c’est un spectacle intéressant qui mériterait peut-être une meilleure organisation en terme de fréquentation pour assurer un plus grand confort de bout en bout pour le spectateur.

pour en savoir un peu plus, le site du spectacle est ici et celui de la compagnie punchdrunk .

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