février 24

natalie dessay au victoria hall

  Natalie dessay2

elle se définit comme une comédienne qui chante, avoue avoir écouté de la musique classique étant ado (la honte pour les jeunes de son âge) et ne pas en écouter beaucoup aujourd'hui, déclare aimer le jazz mais ne pas s'imaginer en faire…

un récital avec natalie dessay seule ou presque en scène…


… (elle était tout de même accompagnée de l'excellent pianiste philippe cassard), c'est un événement d'autant plus rare et précieux que la soprano n'est pas réputée pour apparaître dans des productions de ce type. d'où une location de billets ouverte depuis juillet 2011 et une salle comble (et acquise).

écouter natalie dessay, c'est convoquer toutes les fonctions du corps pour les nourrir d'un aliment divin, c'est laisser cette voix quasiment extraterrestre vous prendre par la main pour vous emmener par-delà les nuages, c'est découvrir qu'une nuance pourtant simple – forte-piano par exemple -, mais tellement maîtrisée, accomplie sur une même note suraiguë, peut surprendre au point de faire venir les larmes aux yeux. personnellement, j'ai passé 90 minutes le coeur au bord des yeux et les larmes au bord du coeur, tant ces mélodies de claude debussy étaient sublimées par cette voix céleste.

une voix qui me fait cet effet-là à chaque fois. à ceci près qu'ici l'émotion était décuplée par l'effet récital. ces petites mélodies très courtes qui eussent été interprétées avec une relative platitude (subjectif, moi? complètement!) par n'importe quelle autre soprano, même de renom, natalie dessay les a sublimées par un jeu – oui un jeu de scène, sobre certes, mais d'une grâce, et donc d'une efficacité, exceptionnelle -, qui leur apportait une richesse insoupçonnée et une tension qui "collait" bien au texte. la chanteuse déclare d'ailleurs avoir refusé des rôles parce qu'elle n'y percevait aucune profondeur dramatique et s'estimait incapable de les interpréter. il n'est que de la voir sur scène dans certains rôles – la reine de la nuit dans la flûte enchantée, par exemple, ou la poupée olympia dans les contes d'hoffmann, pour saisir immédiatement l'étendue de son talent.

de plus, son habitude de la scène et ce talent de comédienne qu'elle revendique lui permettent de "jouer" avec le public. pas besoin d'en faire des tonnes: un regard, un sourire, une inclinaison de la tête et le public est conquis. une manière de dédramatiser, de ne pas se prendre au sérieux. la marque des grands, qui sont à des années-lumière en termes de talent et de maîtrise mais qui savent rester proches de leur public et humbles. ainsi hier soir, elle s'est trompée. et ce tout petit couac que tout le monde lui a pardonné dans l'instant, elle l'a rattrapé avec beaucoup d'humour et de simplicité: "voilà, à force de faire l'andouille (elle avait fait au public des sourires de connivence durant l'intro du pianiste) je me suis trompée". ça a été comme un soulagement et l'atmosphère un peu lourde qui préside à ce genre de représentation s'est tout à coup libérée: tout le monde a ri puis applaudi à tout rompre et le spectacle a continué avec d'autant plus de connivence. un peu plus loin, dans le même morceau, elle a devancé son attaque d'une petite mesure mais s'est rattrapée. qu'une chanteuse de son gabarit puisse se tromper laisse imaginer la difficulté de la pièce… ou simplement l'humanité de cette chanteuse qui domine tant la scène (internationale) depuis tout ce temps.

sur deux attaques, j'ai cru aussi percevoir comme un léger voile dans sa voix, oublié dans la virtuosité de la suite immédiate. même si elle n'a rien perdu de ses aigus, la voix de cette magicienne vocale évolue depuis quelques années vers davantage de gravité. un phénomène naturel pour tout chanteur qui l'éloignera de plus en plus des partitions très exigeantes en termes d'aigus et des rôles virevoltants de colorature qui ont fait sa renommée. mais cette évolution ne la dérange absolument pas, car elle lui ouvre toute une nouvelle palette de rôles qui lui étaient jusqu'ici inaccessibles ou qu'elle n'aurait pas pu envisager, comme violetta (la traviata, verdi), cléopâtre (jules césar, haendel), mélisande (pelléas et mélisande, debussy) ou elvira (les puritains, bellini).

à un moment du récital, je ne me rappelle plus ce qu'elle s'apprêtait à chanter, emmanuel chabrier je crois, elle a précisé que claude debussy considérait que cette pièce était la plus belle du répertoire français. madame dessay, je ne suis pas debussy, mais je vous considère comme la plus belle chanteuse de la scène (lyrique, mais pas seulement) internationale. mais qui suis-je sinon un misérable ver de terre?

un mot sur le pianiste philippe cassard, que je ne connaissais pas mais que j'ai trouvé magnifique. son interprétation solo de pièces de debussy et de gabriel fauré était tout simplement sublime. cependant, même si l'on est sollicité par les plus grands orchestres de la planète et qu'on est reconnu par ses pairs, la critique et le public comme le pianiste le plus talentueux, le plus fin et le plus expressif de sa génération, quand on accompagne une chanteuse de la stature de natalie dessay, on n'est presque qu'"accompagnant". même si bien sûr, hier soir, la star, c'était elle, je me devais de rendre hommage au talent exceptionnel de ce musicien.