mai 01

jean-louis forain au petit palais

Forain-affiche expo

le petit palais, à paris, propose jusqu'au 5 juin une exposition passionnante et riche de 240 oeuvres – intitulée la comédie parisienne – sur jean-louis forain, peintre et caricaturiste, dessinateur de presse satirique, digne successeur d'honoré daumier et ancêtre des plantu et autres chappatte. né à reims en 1852, établi assez tôt avec…


… ses parents à paris, il étudie brièvement aux beaux-arts. brièvement car il s'en fait renvoyer pour une faute qu'apparemment jamais il ne commit (eh oui, j'aime bien cette tournure). chassé par son père du foyer familial pour ladite faute, il fréquentera la bohème parisienne et écumera les rues de la capitale, son calepin et son crayon à la main, à la recherche du sujet qu'il pourra vendre ensuite à un journal. dessinateur très doué, admirateur d'edgar degas et d'édouard manet, il n'aura pourtant ni dieu ni maître et se forgera tout seul son style à lui.

"conter la vie de tous les jours, montrer les ridicules de certaines douleurs, la tristesse de bien des joies, et constater rudement quelquefois par quelle hypocrite façon le Vice tend à se manifester en nous: c'est ma mission", écrit-il en 1889. de 1893 à 1925, il travaillera pour les plus grands quotidiens de france et de navarre (le courrier français, le figaro, l'écho de paris et the new york herald, entre autres) et leur livrera des milliers de dessins satiriques. à la question, qu'on lui pose souvent: "où sera votre prochaine exposition?", il aime à répondre "dans les kiosques!"

observateur d'abord amusé (la série à l'opéra), il rend son message lisible immédiatement, d'un trait simple et sobre ("aucun homme sinon molière ne sut s'élever comme forain à ce sublime comique qui ne va pas sans amertume", dira de lui guillaume apollinaire en 1912). mais forain criera bien vite sa rage devant la détresse des jeunes filles contraintes, pour s'assurer une vie décente, d'accepter les "protections" de bourgeois cherchant maîtresses faciles (la tractation, dans les coulisses).

esprit libre, il se pliera à l'exercice conventionnel du nu à sa façon, c'est-à-dire en peignant des prostituées, et entrera dans les maisons closes (le client), créant au passage un parfum de scandale en exposant les moeurs hypocritement cachées de la bonne société parisienne.

artiste complet, il honore une commande (1894) de 17 cartons monumentaux (dont la femme avec loup et gants noirs qui figure sur l'affiche de l'expo) pour orner la façade du célèbre café riche (détruit en 1899), et dont la réalisation sera confiée au mosaïste italien facchina.

polémiste, forain tranche dans le vif, parfois avec férocité, et prend parti, ce qui l'amènera à faire des erreurs, notamment durant l'affaire dreyfuss. il participera activement au combat antidreyfusard, jusque dans ses implications antisémites, en fondant l'hebdomadaire psst…! avec caran d'ache et le soutien actif de degas.

maître du noir et blanc, mais aussi du mouvement, virtuose de la concision, il amène l'oeil du spectateur exactement à l'essentiel du message. à noter, dans la série opéra notamment, que le personnage que l'artiste nous force à regarder n'est souvent pas le sujet du dessin/tableau, que c'est souvent une femme, seule dans la foule ou dans son couple, et qu'elle est souvent mise en lumière tandis que les autres personnages sont gris ou dans l'ombre.

artiste complexe, il décide au tournant du siècle, âgé alors de 48 ans, de "se consacrer à des travaux d'art plus dignes". c'est sa période spirituelle. épisodes bibliques, représentations de lourdes et scènes de la vie du christ viennent alors augmenter une oeuvre déjà riche.

travailleur infatigable, il s'engage sous les drapeaux en 1914 (à 62 ans, donc) pour témoigner des atrocités de la guerre, délaissant tous les autres sujets. résultat, 208 dessins de presse, par lesquels il se fait le porte-parole des soldats. rapidement, il sera considéré comme le meilleur interprète des sombres événements de la grande guerre. l'académicien paul léon écrira que certains jours, son dessin valait une victoire.

forain n'abandonnera jamais le nu, y revenant par périodes, et notamment la dernière, dès les années 20. le peintre et son modèle (1923), représente un peintre montrant son tableau à peine achevé au modèle en jetant sur elle un air interrogateur, symbolisant ainsi la difficulté de la création artistique et le doute habitant l'artiste.

vers la fin de sa vie, forain renouvellera sa fougue gestuelle et son amour de l'inachevé (le repos des danseuses, le tango au cabaret). ces toiles trahissent une évolution certaine: la danse est considérée comme un métier, avec une rétribution décente, et les admirateurs des danseuses sont désormais relégués au second plan. ces femmes sont émancipées, bien loin des petits rats dont forain dénonçait avant-guerre l'exploitation par les abonnés de l'opéra. selon lui, "un tableau, pour être ragoûtant, doit être terminé en esquisse. c'était le secret de rembrandt, de rubens et de fragonard."

jean-louis forain (louis de son vrai prénom) s'éteindra à son domicile parisien en 1931.