
natalie dessay à balexert
dit comme ça, c'est vrai que, une immense soprano française dans un centre commercial, ça le fait moyen. et pourtant, elle était là, hier soir, sur grand écran, dans l'une des salles du complexe pathé cinéma, dans une retransmission différée d'une production du metropolitan opera de new york, qui a eu lieu le 19 mars…
rewind…
en 2006, le new york metropolitan opera lance un nouveau concept: retransmettre en haute définition certaines de ses productions dans des salles de cinéma de plusieurs pays du monde. ça permet à ceux qui ne peuvent se déplacer d'assister à des opéras-événements (ce qui est une excellente nouvelle pour notre culture) et au met de trouver de nouvelles sources de revenus (ce qui est une excellente nouvelle pour ses caisses). car le concept marche bien, évidemment, à tel point que les salles ne désemplissent pas. d'ailleurs, la saison 2010-2011 affiche déjà complet dans de nombreux pays. mais peu importe, nous avons réussi à nous procurer des billets pour lucia di lammermoor, opéra en trois actes de gaetano donizetti (1797-1848), créé en 1835 au teatro san carlo, à naples (une version française sera créée 4 ans plus tard à paris), sur un livret de salvatore cammarano, d'après le roman de sir walter scott (the bride of lammermoor).
l'argument
fin du xvième siècle, écosse. alors que catholiques et protestants se déchirent, les ashton ont pris possession du château des ravenswood, près de lammermoor. enrico ashton sait que seul le mariage arrangé de sa soeur lucia pourra les sauver de la ruine. mais lucia est éperdument amoureuse d'edgardo ravenswood, ennemi juré d'enrico. après s'être fiancé à lucia, edgardo part pour la france. de longs mois passent et edgardo ne donne aucune nouvelle. c'est qu'enrico a intercepté toutes ses lettres dans le but de le discréditer aux yeux de lucia et de faire accepter à cette dernière le mariage qu'il a arrangé avec arturo. de plus, il a fait écrire une fausse lettre d'edgardo dans laquelle ce dernier annonce qu'il a donné son coeur à une autre. par dépit, lucia signe l'acte de mariage avec arturo. edgardo surgit et répudie lucia. cette dernière, désespérée, tue son nouveau mari et meurt à son tour. apprenant la tragédie, edgardo se poignarde en présence du fantôme de lucia.
l'avis
deux mots sur l'argument: pour une fois, c'était limpide (ok, ça fait cinq), même si les traductions étaient très recherchées ("nous fûmes vaincus par la lassitude des recherches…").
deux mots sur la retransmission: je redoutais un opéra filmé un peu ennuyeux genre "yawn all the way", c'était compter sans l'esprit "entertainment" cher aux américains. en effet, d'une part la salle du met était truffée de caméras, permettant notamment travellings et gros plans sur les visages, et d'autre part un steadycamer nous faisait entrer dans les coulisses à chaque entr'acte pour assister aux changements de décors et surtout, cerise sur le gâteau, suivre les interviews des chanteurs (par "l'hôtesse" de la soirée, renée fleming, soprano américaine), ces stars inaccessibles dont on n'entend jamais la voix ailleurs que sur scène. certains diront que ça désacralise l'institution. moi je dis que ça permet de voir ce qu'on ne voit jamais et que ce n'est pas plus mal. un conseil, cela dit: les places étant numérotées, choisissez de préférence le fauteuil le plus éloigné de l'écran. autant c'est bien à l'opéra car il y a la profondeur de la scène, autant devant un écran de cinéma (qui n'offre donc aucune profondeur de champ), le spectacle vu d'assez près, en plus en haute définition, est limite stressant pour les yeux.
la partition, à présent. lucia est l'opéra le plus célèbre de donizetti, que personnellement je ne connaissais pas plus que ça avant hier soir. drame à la roméo et juliette, il contient trois airs connus (pas autant toutefois que des airs de mozart ou verdi par exemple, en tout cas pas de ceux dont on se souvient et qu'on fredonne sous la douche): le grand sextuor au deuxième acte, l'air de la folie et l'air d'edgardo au troisième et dernier acte. lucia di lammermoor n'est pas, à mon sens, une partition virtuose exigeant des voix hors du commun, comme peuvent l'être par exemple une donna del lago de rossini ou un rôle comme zerbinetta dans ariane à naxos (richard strauss). au contraire, elle laisse aux interprètes la liberté de l'enrichir grâce à des ornementations et même à certaines improvisations (surtout sur l'air de la folie). une partition parfaite pour une immense chanteuse comme natalie dessay qui la sublime totalement.
enfin les interprètes (de cette production). joseph calleja (ténor) est edgardo, ludovic tézier (baryton) enrico, kwangchul youn (basse) le chanoine raimondo et natalie dessay (soprano) lucia, rôle qu'elle a déjà interprété à plusieurs reprises, et notamment au met en 2007. si les chanteurs ont des voix superbes, dessay les surclasse tous par la grâce de sa virtuosité. la partition lui fait la part belle, surtout au premier et au dernier actes (le deuxième mettant en avant les autres personnages). natalie dessay n'est certes pas la seule soprano colorature du monde mais c'est la seule qui parvienne à me tirer des larmes. habituée de la haute voltige vocale, acclamée sur toutes les scènes du monde pour des rôles exigeants (aux côtés des plus grands) qu'elle interprète avec une grande sensibilité, elle possède, outre ses aigus quasi extraterrestres (lakmé, la reine de la nuit et tant d'autres), cette hallucinante maîtrise du "chiaroscuro" qui lui permet de passer d'un forte à un pianissimo puis de revenir à un mezzo-forte, donnant à la partition une émotion que j'appellerais, au choix, "chair de poule" ou "larmes aux yeux" (perso, c'est les deux). je connaissais sa voix pour en avoir entendu des enregistrements, mais ne l'avais jamais vue sur scène. je suis triplement aux anges: parce que j'ai eu ce plaisir hier soir, même si c'était par écran interposé, parce que les billets pour chacune de ses apparitions sont pris d'assaut des mois à l'avance et enfin parce que, grâce à ce concept, j'ai pu "savourer" un opéra que je ne connaissais pas.
magnifique moment, plaisir intense, grande admiration et immense respect. et merci au met.
l'actualité de natalie dessay: ici. des détails de la saison du met: ici.
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