
la ligne noire
le pitch
marc dupeyrat est un journaliste parisien qui a un rapport trouble avec la mort, ayant vécu deux expériences personnelles particulièrement traumatisantes. un jour, souhaitant percer le secret de jacques reverdi, ancien champion d'apnée devenu tueur en série de femmes que personne n'a jamais réussi à faire parler, il a l'idée de se présenter sous l'identité d'une jeune femme et d'écrire à reverdi qui attend son exécution prochaine dans sa prison malaisienne. le subterfuge…
… fonctionne si bien que le tueur se met rapidement à croire en une véritable histoire d'amour. cependant, il n'accepte de se révéler à la jeune femme qu'à la seule condition qu'elle accepte à son tour de marcher dans ses traces pour le comprendre, d'être initiée en quelque sorte. commence alors une correspondance qui va amener dupeyrat en asie du sud-est, sur une "ligne noire" parsemée de cadavres. évidemment, dupeyrat a mis au point un plan parfait en prenant toutes ses précautions pour ne pas être démasqué. évidemment, le tueur n'est pas censé sortir de sa prison. évidemment, tout ne va pas se passer comme prévu…
l'avis
haletant et passionnant de bout en bout, le 5ème roman de jean-christophe grangé (paru en 2004 chez albin michel, et qui devait s'intituler sang noir, titre que dupeyrat dans le roman donnera finalement à son livre) nous plonge, c'est le cas de le dire, dans les tréfonds de l'âme d'un tueur.
un tueur qui, malgré l'atrocité de ses crimes (comme tous les tueurs en série, il est accablé d'une "fêlure fondatrice" qui le rend particulièrement schtarbé), se révèle bien plus honnête et sincère que le journaliste qui, se cachant derrière une fausse identité et l'alibi du scoop, cherche en fait à affronter ses propres démons.
mais la construction du personnage est telle que, contrairement à la plupart des tueurs dont nous abreuvent le cinéma, la télévision et la littérature, sa dignité et sa rectitude font naître une certaine empathie, ce qui de la part de l'auteur est particulièrement vicelard, c'est-à-dire particulièrement subtil.
intelligent, grangé ne tombe pas dans le piège séduisant de "l'hyper-créativité" dans la nature ou la description des meurtres. certes ils sont "élaborés" mais ils suivent toujours le même rituel immuable. son tueur ne cherche pas à brouiller les pistes en changeant de mode opératoire à chaque nouveau forfait car ses motivations, pourtant profondément ancrées, n'ont cependant rien de très original. alors quoi?
le but de grangé n'est pas, on l'aura compris, d'écoeurer son lecteur par la surenchère. ce qui l'intéresse davantage, en revanche, et c'est, du coup, ce qui hisse le roman un cran au-dessus, c'est l'engrenage du mensonge et ses conséquences, un mensonge né, paradoxalement, de la recherche de la vérité. pourquoi ce journaliste, ex-paparazzi et spécialiste des faits divers, s'acharne-t-il autant, au mépris de sa santé (physique et mentale), à comprendre ce tueur? vous le saurez en lisant le livre (niahaha, rire sardonique). en deuxième lecture, on peut déceler dans l'origine du roman de dupeyrat – et de son fulgurant succès – la confirmation de l'adage selon lequel "on ne crée bien que dans la douleur". toute bonne création artistique recelerait-elle donc une part d'ombre inavouable? tout succès démesuré serait-il la rançon d'un pacte monstrueux avec le (ses?) démon(s)? quoi qu'il en soit, le roman de dupeyrat prend sa source dans une réalité usurpée, qu'il n'a eu qu'à recopier, et son affreuse imposture, accompagnée en plus d'un succès immense et immérité, ne pourra que le conduire à sa perte.
la ligne noire est le premier volet d'une série de trois livres (pas à proprement parler une trilogie) sur les origines du mal, le deuxième étant le serment des limbes (2007) et le troisième la forêt des mânes (2009).
je m'attaque de ce pas au serment des limbes.
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