
1925, quand l’art déco séduit le monde
1925 est une date historique pour la france, pour l'art et le design en général. l'exposition des arts décoratifs et industriels modernes se tient en effet à paris cette année-là. c'est de là que partira un style qui émane de domaines artistiques variés et qui non seulement aura un retentissement dans tous les compartiments de la vie quotidienne, mais influencera également, excusez du peu, le monde entier: l'art déco.
à l'art nouveau qui, malgré son positionnement novateur d'art total, n'a cessé depuis le tournant du XXème siècle de réunir autour de lui un nombre grandissant de détracteurs, à l'art nouveau, donc, succède l'art déco. si ses premières manifestations se situent vers les années 1910, en réaction à l'art nouveau – mais un mouvement artistique ne naît-il pas souvent "en réaction" au précédent? -, et que lui aussi se revendique "global", il est tout le contraire du précédent qui avait érigé la courbe, la volute et le foisonnement en philosophie. l'art déco prône l'épure, la rigueur, la sobriété, la géométrie et l'élégance. souvent associé au luxe, il saura pourtant "habiller" les habitations bon marché. le mouvement moderne, dont le corbusier est l'un des plus illustres représentants, mais aussi le bauhaus, né en allemagne en 1919, s'inscriront dans le contexte de développement de l'art déco. mais les deux mouvements, même s'ils présenteront quelques similitudes de forme, seront radicalement différents sur le fond, puisque les modernistes privilégieront la fonction sur la forme et critiqueront l'aspect purement mercantile de l'art déco (ce dernier ne s'appuyant d'ailleurs en effet sur aucune théorie). mais là n'est pas le propos…
1925 marque donc un tournant. à la belle époque succèdent les années folles d'après-guerre, des années durant lesquelles tout est à reconstruire et qui se grisent de nouveauté. il faut repenser la société à l'aune de la modernité et l'élan de reconstruction est placé sous le signe de la vitesse. tous les secteurs sont touchés.
tout d'abord les transports. le concept de loisirs émerge et l'homme est à la recherche de nouveaux horizons. l'automobile se développe et avec elle des besoins en usines modernes dont les bâtiments seuls positionnent vite les marques en fleurons du progrès, avec à leur tête des visionnaires comme andré citroën. dans le même esprit, les aviations commerciale et civile se développent. de gros transporteurs voient le jour qui doivent séduire un public encore méfiant. il faut dire que les carlingues très lourdes en acier obligent l'aménagement intérieur à être le plus léger possible. ainsi, les sièges de l'un des premiers gros avions de ligne sont en osier (bonjour le confort sur les longs-courriers). la haute société voyage dans des palaces flottants, véritables châteaux sur l'eau et successeurs du titanic, qui ont pour nom le france – seul navire français à avoir arboré quatre cheminées, construit il est vrai en 1912, mais qui connaîtra avec les années 1920 une seconde jeunesse – ou le normandie, qui symbolisera la france de la décennie suivante.
c'est ainsi que les français (mais pas seulement) découvrent le tourisme. les infrastructures doivent suivre. palaces et stations balnéaires se construisent. parallèlement, et par voie de conséquence, la réclame se généralise, même si l'époque fait la part belle au graphisme, c'est-à-dire à la mise en valeur esthétique d'un produit ou d'un service (la société est alors dominée par la production) plutôt qu'à la créativité, c'est-à-dire à la mise en valeur conceptuelle dudit produit ou service. le tourisme entraîne avec lui la consommation et les loisirs: grands magasins, piscines, casinos, musées, théâtres et cinémas font office de vitrines de ce renouveau à tout-va.
frustré par des années de guerre, le public a besoin de se divertir et les besoins sont grandissants. pour y répondre, l'industrie d'un cinéma qui sera bientôt parlant appelle à la rescousse les plus grands architectes de l'époque pour construire des temples dédiés au septième art. c'est ainsi que naissent ce que nous appelons aujourd'hui des complexes (le concept n'est donc pas nouveau), véritables monstres où l'on peut déposer son chien à l'entrée, se faire coiffer et prendre un verre au bar avant d'entrer dans la salle où seront projeté les films d'actualités puis le film proprement dit. le cinéma parisien gaumont palace contient 6000 places. idem pour le rex sur les grands boulevards. à cette époque, une soirée cinéma est une soirée "totale" et l'entracte est l'occasion de rire aux facéties des comiques troupiers. ancêtres des "stand-up comedians" d'outre-atlantique, fernandel et bourvil passeront par là quelques années plus tard.
comme l'art nouveau, l'art déco prend possession de l'extérieur des bâtiments. ainsi certains architectes, comme henri sauvage et frantz jourdain (la samaritaine, notamment), robert mallet-stevens (même si ce dernier se tournera vers le style moderne) et marcel oudin (une vingtaine de cinémas dans toute la france, notamment), pierre patout (chantre du style paquebot avec de magnifiques immeubles, dont celui, "plat", du boulevard victor, dans le 15ème arrondissement de paris) et joseph marrast (et son ensemble de logements, quai des grands-augustins, dans le 6ème) sont considérés comme les pères du mouvement. des édifices publics, surnommés les palais du peuple, seront les plus évidents porte-parole de ce mouvement. deux exemples éclatants à paris: le palais de chaillot, où se tient justement l'exposition, construit entre 1934 et 1937 et signé des trois architectes louis-hippolyte boileau, jacques carlu et léon azéma, et, un peu plus bas sur l'avenue du président-wilson, le palais de tokyo (1937), autrement dit le musée d'art moderne, que l'on doit à jean aubert, jean-claude dondel, marcel dastugue et paul viard.
l'art déco se manifeste également à l'intérieur de l'habitat. les fabricants de meubles, dont le plus connu reste le décorateur et ensemblier jacques-émile ruhlmann, surnommé le pape de l'art déco, mais aussi l'ébéniste pierre legrain et surtout l'architecte et designer pierre chareau (l'un des premiers architectes modernes avec le corbusier), feront les grandes heures de ce style reconnaissable entre tous. ruhlmann restera célèbre pour le pavillon l'hôtel des collectionneurs à l'exposition de 1925, mais également pour son aménagement du paquebot l'île-de-france en 1927. il interviendra dans l'ameublement du palais de l'élysée, de l'assemblée nationale et de la mairie du 5ème arrondissement de paris.
l'art nègre. on ne mesure pas aujourd'hui la portée et l'influence qu'ont eu les arts africains rapportés des colonies, encore très en vogue, sur les courants artistiques occidentaux de ces années-là. les foules se pressent dans les music-halls et ont soif de divertissement. les américains, qui ont largement contribué à la défaite de l'allemagne, ont apporté avec eux la musique et les cocktails. dès 1925, joséphine baker marquera durablement la scène artistique parisienne de son empreinte en profitant de ce courant pour "innover", même si cela aura parfois le goût du scandale. la revue nègre, dont elle est la star, contribuera à diffuser le jazz et la culture noire en europe. de leur côté, décorateurs, designers et ensembliers utilisent l'ivoire dans la marqueterie et s'inspirent des couleurs et des lignes de l'art africain pour leurs meubles.
l'administration se laisse gagner par le courant art déco et se doit de refléter, par ses équipements publics, une certaine idée de grandeur. là encore, l'état fait appel à des architectes de renom pour équiper la france de bâtiments à la mesure de cette vision: jean philippot (gare de trouville, 1930-31), urbain cassan, louis madeline et jean walter (centre hospitalier de lille, 1934-58), louis suard et paul guadet (hôtel des postes, châteauroux, 1928) et rené levavasseur (gare maritime de cherbourg, 1928-32) compteront parmi les artisans de cette idée.
qui soupçonnerait aujourd'hui que le mouvement art déco s'est étendu jusque dans la préparation à l'avenir des jeunes générations? car l'époque prône le développement le plus large possible de l'esprit, la promotion de la santé par le sport et l'élargissement des horizons. de quoi donner des idées au ministre de l'éducation actuel…
les expositions universelles. vitrines exceptionnelles du "progrès" tel qu'on l'entendait à l'époque (le mot est aujourd'hui tellement désuet), les expositions universelles se feront également celles de ce mouvement à l'échelle internationale. ainsi l'expo de new york en 1939 au corona park (flushing meadows) sera tout entière imprégnée d'art déco, jusque dans son thème principal, le progrès par la compréhension. pierre patout et roger-henri expert y concevront le pavillon de la france.
l'expo s'attache également à montrer l'influence du mouvement parti de france et son développement dans le monde: casablanca (le palais de justice de joseph marrast), belgrade (la splendide ambassade de france de roger-henri expert, 1929-35, qui réalisera de nombreuses villas en france, à l'instar de robert mallet-stevens), hanoï et saigon (la succursale de la banque de l'indochine de félix dumail, 1924-29, qui sera l'architecte attitré de l'office public d'habitations à bon marché de la seine), shanghai (l'immeuble le béarn de paul veysseyre, 1935), tokyo (la résidence du prince asaka, 1933), chicago et são paulo (le jockey club d'henri sajous, 1930) sont ainsi pris en exemple. new york s'emparera du style dès le début des années 1930 avec la construction du rockefeller center (bas-relief à l'entrée de la maison française, 1929-40, mais aussi peintures du grand hall), du spectaculaire chrysler building, qui sera le plus haut gratte-ciel du monde, mais que l'empire state building détrônera six mois seulement plus tard. le style posera également ses valises le long des plages de miami, sur ocean drive (le marlin hotel, 1939, et le colony hotel, 1935-39), donnant naissance à une variante intéressante et unique: l'art déco floridien, reposant sur les mêmes codes de rigueur graphiques et architecturales mais y ajoutant l'audace de couleurs inusitées ailleurs.
en bref, 1925 quand l'art déco… est une exposition passionnante et extrêmement bien faite. dingos d'art déco ou simplement curieux, un conseil: courez vite la voir.
cité de l'architecture & du patrimoine, palais de chaillot, paris, métro trocadéro, jusqu'au 17 février 2014.
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