décembre 05

pascal légitimus: alone man show

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tout le monde peut se targuer de « connaître » pascal légitimus pour plein de choses: ses sketches au petit théâtre de bouvard (pour les plus anciens), ses rôles au cinéma et à la télévision, et surtout sa participation aux inconnus qui lui a valu, outre un molière (entre autres nombreuses récompenses),…


… la reconnaissance (et le souvenir durable) du public. tout le monde sait qu’il est antillais, non seulement parce que ça se voit, mais aussi parce qu’il sait nous le rappeler dans ses sketches (ma’ie-thé’èssssse). tout le monde sait qu’il excelle dans la comédie mais qu’il sait aussi entrer dans des rôles plus dramatiques. bref, quand un comédien, essentiellement comique de surcroît, nous touche en plein coeur depuis des années, on a l’impression qu’il fait partie de la famille ou qu’on le connaît comme un ami intime.

pourtant il y a deux choses qu’on lui connaissait peu – ses origines arméniennes – ou pas du tout – le one man show.

voilà une lacune comblée puisque, depuis le 11 octobre, il relève le défi de parler de ses origines, seul sur la scène de cet ancien temple de la nuit parisienne – le palace – pendant près de deux heures. son nouveau spectacle n’a décidément rien à voir avec son précédent (plus si affinités). quoique… il y a bien ici et là quelques réflexes « inconnus » et/ou « petit théâtre de bouvard », des traits d’humour ou une manière d’aborder un sketch que l’on retrouve d’un spectacle à l’autre. mais c’est aussi pour ça qu’on vient et surtout qu’on l’aime.

qu’on se le dise, alone man show  n’est pas un spectacle comique. même s’il contient des moments de grande drôlerie. le spectacle n’est pas forcément facile à « s’approprier » de prime abord, légitimus nous forçant à entrer dans son univers au lieu de nous le livrer clés en mains, comme le font tous les humoristes. le texte est riche, bien écrit, ciselé par moments (la tirade de cyrano), peut-être un peu trop didactique par d’autres (le diaporama sur l’esclavage). n’importe. on n’est jamais assez instruit sur les ravages de la bêtise.

ce discours sur le racisme, j’ai l’impression de l’avoir toujours entendu dans la bouche de pascal. déjà au lycée, en 1976 ou 1977, il me disait que la société avait une dette envers lui. il y a toujours eu chez lui, depuis que je le connais, une « conscience revendicative », non violente mais omniprésente. dans cet alone man show, j’ai été agréablement surpris par la maturité du propos. renforcée par le vécu familial et loin de s’être embourgeoisée avec les années, la revendication est même plus virulente que jamais. mais légitimus n’est pas dieudonné (auquel il fait référence à plusieurs reprises avec tendresse) et c’est tant mieux. on retient parfois mieux le message quand il est empreint d’émotion. légitimus étant un artiste « doucement engagé » (ce qui ne veut pas dire du tout qu’il est politiquement correct), sa critique s’exprime aujourd’hui sous un angle légèrement différent et un ton plus calme. on est loin de son discours des molière où il remerciait celui (j’ai oublié son nom) qui avait aboli l’esclavage car « sans lui, je ne serais pas ici ce soir ». près de 15 ans plus tard, le fond est intact, il est juste plus « explicatif ». « quand quelqu’un refuse de me regarder, parce que ma couleur le dérange, je lui tourne la tête pour le forcer à m’écouter », me disait-il il y a plus de 30 ans. c’est un peu ce que pascal fait dans ce spectacle, mêlant habilement, et là réside la force de son écriture, humour, tendresse et gravité, même à l’égard de ceux, en l’occurrence la branche arménienne de sa famille, qui ont rejeté sa mère, et avec qui, on le comprend vers la fin, il a fait la paix… même à l’égard des gros beaufs qui lui chiaient dans les bottes au lycée et qui se prétendent aujourd’hui ses amis, sous prétexte qu’il a accédé à la notoriété.

on attendait pascal légitimus dans un one man show depuis des années. on s’attendait au retour de l’inconnu seul en scène, balançant des « hé momo, tu descends? et pour quoi faire? ». il y a de cela, bien sûr, car il ne renie jamais son passé. mais il livre en quelque sorte les coulisses de ce qui a fait son succès, décortiquant des morceaux de bravoure que nous avons tous en mémoire (« bijour missieur vincent ») et démontrant au passage toute l’étendue de son talent. c’est donc à bien plus qu’il nous convie: une expérience riche de sens, une surprise qui fait du bien…

… j’étais dans la file d’attente à l’aéroport de genève. quarante minutes avant le décollage. l’avion devait m’emmener au chevet de ma mère atteinte d’un cancer de l’estomac. je l’avais vue la semaine d’avant en lui recommandant de m’attendre, que j’allais revenir. mais ce mercredi matin 7 avril 2010, deux coups de fil alarmistes – l’un de mon frère, l’autre de la clinique d’évreux, en normandie – m’avaient poussé à réserver un vol et une voiture à paris. j’étais donc dans la file quand mon téléphone a sonné pour la troisième fois ce jour-là. et au milieu de tous ces gens, pour la plupart heureux de partir, j’ai éclaté doucement en sanglots…

la fin du spectacle m’a rappelé ma propre expérience. pascal lui-même a avoué avoir pleuré à la première. comme une thérapie salutaire qu’il menait (que beaucoup d’acteurs mènent) en public. il y a beaucoup d’émotion dans ce spectacle, de ces émotions rémanentes, entêtantes, qui font toute la beauté et la valeur de notre humanité. pour peu qu’on n’oublie jamais le message qui les a créées, bien sûr.

pascal légitimus: alone man show sera à genève aux alentours de mars-avril 2012. on ne peut pas ne pas aller le voir.

écrit par pascal légitimus et coloré (sic) par gil gaillot, rémy caccia et arnaud gidoin. mis en scène par gil gaillot. le palace. 8, rue du faubourg-montmartre. mardi-vendredi: 20h30. samedi 17h00 et 20h30.