la féminisation de la langue française

l’autre jour, je me promenais dans la rue à pied (si si ça m’arrive) et mon oeil fut attiré par la manchette d’un canard que je crois bien n’avoir même jamais tenu entre les mains: le courrier. il y était question de la féminisation de la langue française et de son rapport au sexisme. je me suis fendu de deux francs car…

… la chose m’intéresse. l’article faisait état d’un linguiste allemand, auteur d’une thèse sur le sujet, et dans laquelle il se livrait à une comparaison entre sa langue maternelle et celle de voltaire, jetant ainsi de l’huile (si l’on peut dire) sur le feu d’un débat déjà passablement houleux. car en france, et plus généralement dans les pays francophones, la question se pose régulièrement, ses partisans, qui sont plus souvent des partisanes, et pour cause, revenant régulièrement à la charge devant l’évolution de la place qu’occupe désormais la femme dans la société, ses détracteurs, académie française en tête, restant quant à eux campés sur leur position: pas question qu’on touche au masculin. comme si la féminisation de certains mots faisait peur (car ce serait
abdiquer une tradition pas seulement linguistique séculaire) ou qu’elle allait faire s’écrouler l’un des derniers bastions d’une virilité (faut-il s’interroger sur le
repositionnement de l’homme dans la société?) déjà bien vacillante. les défenseurs (parmi lesquelles, donc, figurent en majorité des défenseuses), eux, sont persuadés qu’une féminisation de la langue induirait une société plus égalitaire (mais ne serait-ce pas plutôt qu’une société plus égalitaire conduirait à une féminisation plus « naturelle »? on pourra arguer que l’un ne va pas sans l’autre). de quoi de quoi, on veut nous imposer écrivaine alors qu’on a toujours dit femme écrivain (et que c’est très bien comme ça)? si certains métiers, jusqu’ici occupés par les hommes, ont vu leur dénomination se féminiser sans trop de problème et que celle-ci a fait son entrée dans le langage courant à la faveur d’une plus grande présence des femmes dans lesdits métiers – la ministre, la juge, la factrice – d’autres résistent encore et toujours. pourquoi? outre les résistances précités, au nombre desquels on peut ajouter le fait que certains mots, mis au féminin, sonnent bizarre ou, n’ayons pas peur des mots, sont moches (cheffe étant le plus beau des moches, mais il y a docteure aussi), il y a en français, au-delà de considérations socio-culturelles certes très importantes, d’autres types d’obstacles d’ordre plus linguistique. fémininisé, un mot peut ainsi induire en erreur par le truchement d’un glissement sémantique malheureux ou d’une homophonie malencontreuse: il en va ainsi de la cafetière, de l’entraîneuse ou de la maire (mer? mère?). de plus, la société patriarcale ayant bien fait les choses, il arrive que certaines dénominations soient plus prestigieuses au masculin. ainsi le couturier crée, la couturière exécute. et puis quel féminin choisir? certains mots sont plus « féminisables », c’est-à-dire plus « jolis » à voir ou plus « faciles » à prononcer, que d’autres: auteure est certes plus « neutre », dirons-nous, que auteuse ou, pire, autrice (qui fait un peu « autiste »). pourtant on dit bien fautrice de troubles, non? on dira plus facilement gouverneure que gouverneuse, qui a une connotation bas de gamme. sans compter les différences de sens: madame l’ambassadeur n’a pas les mêmes fonctions qu’une ambassadrice. et pourquoi ne voit-on jamais sculptrice? à ce débat ambiant pas simple parce que émotionnel à souhait, s’ajoute le fait que le français ne propose pas de règles pour la féminisation, aucune catégorisation, par désinence pourquoi pas (les mots en -teur font -trice, par exemple), qui faciliterait la tâche. tout simplement parce qu’il est difficile d’en créer qui se tiennent sans appeler immédiatement tout un bataillon d’exceptions. c’est presque chaque mot qu’il faut examiner individuellement. la tâche risque donc de prendre du temps, et pas seulement à cause des résistances. l’académie serait bien inspirée de se pencher sérieusement sur la question au lieu de se braquer, l’évolution de la langue, reflet de celle de la société, est de toute manière en marche…