frankenstein!

j’ai lu dans un journal daté du 9 janvier dernier que la compagnie de danse contemporaine alias, dirigée ar le chorégraphe guilherme botelho, avait présenté un spectacle intitulé frankenstein! au grand théâtre, à genève. l’article faisait état du retour du savant fou et de sa créature pathétique dans la région qui les a vu naître il y a presque 189 ans. cette description m’a fait réagir…

rewind…
en juin 1816, lord byron réside à cologny, petit village situé sur les hauteurs, à quelques kilomètres de genève, et devenu depuis commune à part entière de la cité du bout du lac léman. il reçoit la visite du poète percy shelley et de sa jeune fiancée de 19 ans, mary wollstonecraft. un soir, byron propose à ses invités un jeu dont il emprunte la règle au décaméron de boccace: tous, lui-même compris, devront écrire une histoire de fantôme pendant le temps qu’ils séjourneront à cologny. byron écrira une histoire de vampire qui plus tard inspirera bram stoker pour son dracula. mary wollstonecraft, qui n’est pas encore mary shelley, « donnera vie » à frankenstein.

roman vs. film
publié en 1818, mary a 21 ans, le roman relate les faits de victor frankenstein, médecin de talent qui découvre qu’il est possible de redonner vie à des tissus morts. il reconstruit un corps entier à partir de membres pris ça et là dans des cimetières ou dans des morgues et, après plusieurs tentatives infructueuses, parvient à animer sa créature. l’histoire, on la connaît, on a tous vu le film. or c’est justement là que la bât blesse. on croit tous connaître l’histoire, parce qu’on a tous vu ce film de james whale tourné en 1931 (deux ans avant king kong) avec boris karloff, et qui a marqué l’inconscient collectif. l’adaptation du roman à l’écran transforme la créature en idiot hideux. or, dans le roman, elle est douée non seulement de parole, mais d’une
intelligence très vive: elle lit, raisonne, disserte même. mais voilà, son corps fait peur et suscite le dégoût, le rejet et bientôt la haine. si bien qu’elle est contrainte à l’exil, que lui offrent à la fin du livre les glaces du pôle nord, où elle meurt.

hollywood a fait de cet être hors norme un monstre sans âme: sa laideur était la cause d’actes a priori répréhensibles aux yeux des hommes (un être laid ne peut faire le bien), actes dont la condamnation leur était plus aisée à justifier. là où shelley rendait le rejet insupportable parce que, hormis son aspect repoussant, cet être est un homme comme les autres, le film, et la différence est de taille, le justifie parce qu’il est inadmissible que les hommes vivent en paix aux côtés d’une créature d’une telle laideur. tout comme le thème, sa vulgarisation est symptômatique de l’époque mais aussi de la culture dont elle est issue. la version de kenneth branagh était en cela bien plus fidèle à l’oeuvre originale, même si elle confinait parfois au grotesque. avec le temps, ce thème prendra une place de choix aux côtés d’autres grands thèmes comme la dualité bien/mal en chacun de nous (dr. jekyll & mr. hyde, de r. l. stevenson), le refus obsessionnel de vieillir (le portrait de dorian gray, d’o. wilde) ou le pouvoir paradoxal de tout obtenir (la peau de chagrin, d’honoré de balzac).

mais ne nous y trompons pas: le roman de shelley rencontre le succès qu’on lui connaît, non pas tant parce que c’est une bonne histoire de monstre, mais parce que le thème du rejet de la différence est universel et que chacun peut s’y reconnaître, voire s’y identifier. et finissons-en avec les fausses idées que le cinéma a contribué à créer: frankenstein n’est pas le nom de la créature, la créature s’appelle « créature » et pas « monstre », et surtout elle n’est pas un idiot du village mais un être intelligent. j’aurais bien aimé voir le spectacle au grand théâtre